PERSONNE N’A DEMANDÉ À VENIR AU MONDE (1/2)

I am who I am

Partie 1 • Transidentités : ce qu’il faut savoir

Le 1er décembre 1955, Rosa Parks, une ouvrière noire de l’Alabama, a refusé de céder sa place à un passager blanc à bord d’un autobus, ainsi que l’y obligeait le règlement. Elle est ainsi devenue l’emblème de la lutte contre la ségrégation raciale aux États-Unis, marchant aux côtés de Martin Luther King et inspirant des centaines de milliers d’opprimés à travers le monde.

À cette époque, surtout dans les États du sud mais aussi dans plusieurs villes et comtés du nord, il y avait des toilettes pour les Noirs et des toilettes pour les Blancs, des établissements – bars, restaurants, hôtels – d’où les Noirs étaient exclus, des écoles et des hôpitaux délabrés pour les Noirs et des écoles et des hôpitaux modernes pour les Blancs, des places assignées pour les Noirs et pour les Blancs dans les transports en commun… Tout était fait pour mettre les Noirs à l’écart, pour les inférioriser, pour les humilier.

Le geste courageux de Rosa Parks n’a pas mis fin à la ségrégation ni au racisme, sans doute, mais il a contribué à changer les mentalités. Désormais, la majeure partie de la population s’indigne quand un jeune Noir sans armes est tabassé ou abattu par la police, quand une famille de Noirs peine à se loger ou à trouver un emploi décent, quand des Noirs sont victimes d’une évidente discrimination basée sur la couleur de leur peau – ou quand un massacre est perpétré dans une église noire par un suprématiste blanc. Il reste encore des abrutis pour s’en réjouir, mais ils ne sont plus en majorité.

Je me dis parfois qu’il nous faudrait une Rosa Parks trans. Une qui dirait simplement : «Non, ça suffit, nous n’acceptons plus le mépris!»

On est comme on naît

Personne n’a demandé à venir au monde. Pas plus les Noirs que les Blancs. Pas plus les trans ou les intersexes que les cisgenres. Pas plus les femmes que les hommes, les grands que les petits, les gros que les maigres, les laids que les beaux, les homos que les hétéros, les intelligents que les idiots. Notre naissance, nous l’avons subie; nous ne l’avons pas choisie. Si j’avais eu le choix, je serais née dans un corps de femme. Belle, de préférence. Avec juste assez de rondeurs aux bons endroits pour être bandante. Ou alors, j’aurais reçu en partage assez de virilité, de masculinité, d’instinct du chasseur et du guerrier pour assumer ce corps massif et velu affublé de seins rachitiques et d’un clitoris encombrant flanqué de laids pruneaux.

Bref, j’aurais choisi d’être comme la plupart des gens, une femme dans un corps de femme ou un homme dans un corps d’homme. C’eût été certainement moins compliqué, moins épuisant… et surtout, beaucoup mieux accepté socialement.

Seulement, pas de chance : je suis née comme je suis, femme sans sexe et sans corps, empêtrée dans un amas de chair qui ne me ressemble en rien. J’en ai été longtemps malheureuse. Chaque jour était une agonie. Je vivais cachée, effacée, m’excusant sans cesse d’exister. Puis, j’en ai eu assez d’être une victime et j’ai décidé de m’assumer. Ce corps que je haïssais, j’ai décidé de m’en faire un allié; de le remodeler à pleine pâte; de le faire correspondre progressivement à mon identité profonde, jusqu’au point de non-retour. Jusqu’à la chirurgie qui fera de mon sexe honni une vulve de femme.

C’est ainsi que je suis devenue une femme transsexuelle. C’est-à-dire une femme «en transition».

La longue attente

Peu à peu, les hormones vont remodeler mon corps. Mes seins vont se développer; mes fesses et mes hanches vont s’arrondir; ma taille va s’affiner; ma peau va s’adoucir et mon système pileux s’assouplir et se clairsemer. Puis le scalpel du chirurgien viendra mettre la touche finale à ce long processus, qui peut prendre jusqu’à dix ans et même plus, et si tout se passe bien, j’aurai le bonheur de finir mes jours dans la peau de la femme que j’ai toujours été.

Évidemment, il n’y aura pas de miracle. Je vais devoir subir d’innombrables et très douloureuses séances d’épilation, et j’ignore quels seront leurs effets à long terme sur ma peau de diabétique. Je vais devoir continuer d’assumer mon physique de bûcheron (je ne peux pas me limer les os), mes gros doigts boudinés et ma voix de basse-ténor (contrairement à la croyance populaire, l’émasculation ne permet pas de retrouver sa voix d’avant la mue; seul un sujet castré avant la puberté ne muera pas à l’adolescence). Je ne ressemblerai jamais à mon idéal féminin (quelque part entre Mae West, Maud Guérin et Marilyn Monroe). Mais je me ressemblerai, à moi, plus que jamais. Ça me suffit. Je ne suis pas exigeante.

Un utérus dans la tête

D’aussi loin que je me souvienne, je ne me suis plue qu’en compagnie des femmes, parce que nous avions la même façon d’aborder la vie, dans le partage introspectif, l’intuition et l’émotion, et la quête de beauté et de vérité. Je ne suis absolument pas en train de dire que les hommes sont exempts d’émotions ou qu’ils ne se soucient pas de la beauté ni de la vérité; mais ces traits s’expriment chez eux d’une autre façon, dans laquelle je n’ai jamais pu me reconnaître. J’étais «one of the boys», mais je suivais la meute en touriste, comme une étrangère.

Une amie très chère me dit que je suis née avec un utérus dans la tête. Elle a tout compris. Je ne suis pas née avec une âme noire de prédateur qui se déguise pour approcher plus aisément ses proies, tel un chasseur à l’affût. Je ne suis pas née avec une âme tourmentée de psychopathe qui se perd dans ses multiples identités ou dans son refus de la réalité, ni avec un forme quelconque de perversion qui me pousserait à mystifier mes semblables pour assouvir quelque bas instinct. Je suis née avec une vulve difforme, des seins timides et une pilosité trop abondante. Avec un utérus dans la tête plutôt que dans mon ventre, où il aurait dû se trouver. Comme tout le monde, je suis née malgré moi; on ne m’a pas demandé mon avis.

Cela fait-il de moi une malade, une anormale, une handicapée? Je ne suis pas malade et, bien que je ressente mon corps et surtout mes organes génitaux comme un handicap, je ne suis pas non plus handicapée à proprement parler. «A-normale», je le suis assurément, par rapport à une norme sociale établie qui veut qu’il existe deux sexes, soit le sexe mâle et le sexe femelle, et qu’on appartienne à l’un ou à l’autre selon qu’on a reçu à la naissance des attributs sexuels mâles ou femelles. Mais cette norme sociale repose sur des prémisses qui ne résistent pas à l’épreuve des faits.

La science à la rescousse

Nous avons une vision binaire, dualiste de la vie : oui/non, blanc/noir, positif/négatif, masculin/féminin. Nous avons été éduqués ainsi. Mais la science n’en est plus là depuis longtemps. Le cas des intersexes suffirait, à lui seul, à mettre à mal la vieille opposition masculin/féminin.

Un sujet intersexe est une personne qui a reçu des attributs sexuels à la fois masculins et féminins à la naissance : par exemple, des ovaires et un utérus dissimulés par un pénis, ou des testicules internes malgré la présence d’une vulve bien conformée. Ces cas concerneraient jusqu’à 2 % de la population, et leur nombre ne cesse d’augmenter. On peut voir deux explications à ce phénomène : certaines formes de pollution (notamment la présence d’œstrogène dans l’eau) favoriseraient l’intersexuation des fœtus; mais aussi, l’état des connaissances permettrait de détecter les cas d’intersexualité (ou d’hermaphrodisme, selon l’ancienne terminologie) avec beaucoup plus d’assurance et de façon plus méthodique.

Les intersexes constituent donc, en quelque sorte, un troisième sexe se situant à mi-chemin entre le pôle «mâle» et le pôle «femelle», dont l’existence contredit à elle seule la vieille dualité des genres. Mais ce n’est pas si simple : nous n’avons encore abordé que l’aspect morphologique des marqueurs sexuels. «Entre le sexe morphologique, le sexe chromosomique, le sexe génétique et le sexe endocrinien, on ne sait plus auquel se référer pour penser ce qui détermine l’assomption subjective du sexe» (François Ansermet, psychiatre spécialiste de l’intersexuation).1

En tenant compte des nombreux facteurs qui entrent en jeu, on estime aujourd’hui qu’il existe un spectre entre le pôle «mâle» et le pôle «femelle» comportant 48 «sexes» possibles, et même davantage. Autrement dit, bien rares sont les individus entièrement «mâles» ou entièrement «femelles» – probablement aussi rares que les intersexes, en fait. Nous sommes, pour la plupart, une combinaison de masculinité et de féminité, dans des proportions variées.

Quand le sexe qui domine chez un individu correspond à celui qui lui a été assigné à la naissance sur la base de sa morphologie, ce qui est le cas de la majorité de la population, l’identité de genre ne pose aucun problème : une personne dite «cisgenre» n’aura aucun mal, en principe, à s’intégrer à une société «bigenrée», si je puis me permettre ce néologisme.

Dans un cas comme le mien, en revanche, le sexe assigné à la naissance ne correspond pas au genre véritable, tel qu’il est inscrit dans la psyché et vraisemblablement dans les gènes ou le système endocrinien. Une telle situation induit presque fatalement une forme de dépression majeure appelée dysphorie d’identité de genre. On se sent prisonnière de son corps; comme étrangère à soi-même. On a l’impression de vivre en permanence avec un masque, forcée d’assumer jour et nuit un personnage dans lequel on est incapable de se reconnaître.

Bref, c’est carrément l’enfer.

Dans la deuxième partie, nous verrons de plus près cet enfer de la dysphorie et aborderons, entre autres, les données dont nous disposons sur les suicides et les assassinats de trans, les différences entre les transidentités, et les levées de boucliers que suscitent les plus récentes percées scientifiques dans certains milieux conservateurs et religieux – mais aussi, plus étonnamment, dans certains cercles féministes et progressistes dont on ne soupçonnerait pas, a priori, qu’ils puissent alimenter un discours carrément transphobe. (À suivre)

© Pascale Cormier, juin 2015

1 http://sexes.blogs.liberation.fr/2013/06/19/il-nexiste-pas-2-sexes-male-et-femelle-mais-48/

http://osibouake.org/?+La-difference-des-sexes-demelee+

http://www.nature.com/news/sex-redefined-1.16943

https://socio-logos.revues.org/2837#tocto1n3

Communiqué – pour diffusion immédiate

Vérose Média présente

Un spectacle-bénéfice au profit de

La Maison de Mélanie

au Pub St-Paul le dimanche 19 juillet à 20 h

Montréal, le 19 juin 2015 – Vérose Média, un regard citoyen organise un spectacle-bénéfice au profit de La Maison de Mélanie.  Des artistes de différentes disciplines présenteront leurs numéros, et DJ Mélo fera danser l’assistance sur des airs disco.  La soirée aura lieu le dimanche 19 juillet 2015 à 20 h au Pub St-Paul, 124 est, rue St-Paul à Montréal.

Vérose Média est un nouveau média citoyen qui vise à donner la parole aux femmes et aux hommes qu’on n’entend jamais dans les grands médias ni sur la place publique. Fondé par Vérose Blanche, modèle alternatif et artiste multidisciplinaire, en collaboration avec Lady Trash, photographe, et Pascale Cormier, écrivaine et poète, Vérose Média ne défend aucune cause en particulier, sauf celle de la liberté d’expression et de la pluralité des voix. Nous voulons aborder les sujets qui dérangent et qu’on passe trop souvent sous silence, en permettant à différents points de vue de s’exprimer librement et sans tabous.

La Maison de Mélanie est un organisme de bienfaisance dont la mission première est de venir en aide aux victimes de la traite humaine à des fins d’exploitation sexuelle.  L’organisme se voue à soutenir les victimes de la traite humaine à des fins d’exploitation sexuelle en leur offrant de l’écoute et du soutien moral, et des services d’éducation et de consultation liés à leurs droits et à leur réinsertion sociale suite à une victimisation, ainsi qu’à éduquer et conscientiser la population sur la problématique de la traite humaine à des fins d’exploitation sexuelle et sur son impact sur les victimes par le biais d’ateliers, de formations, de conférences et autres présentations publiques. À plus long terme, la Maison de Mélanie souhaite offrir aux victimes de la traite humaine à des fins d’exploitation sexuelle un service d’hébergement temporaire, afin d’assurer leur sécurité et de répondre à leurs besoins primaires.

La Maison de Mélanie intervient avec une approche innovatrice et neutre, puisque l’organisme n’a pas pris position dans le débat politique sur la prostitution. L’approche préconisée se veut sans jugement, sans discrimination face aux différents types de prostitution. L’organisme offre ses services à toutes les femmes désirant recevoir de l’aide pour mettre fin à une situation d’exploitation sexuelle, et ce, sans conditions préalables.

La Maison de Mélanie offre aussi l’occasion aux professionnels et étudiants de niveau collégial et universitaire de bénéficier d’une formation sur l’intervention auprès des victimes d’exploitation sexuelle et de traite humaine. Cette formation a un volet informatif pour sensibiliser les candidats à la réalité de la problématique et un volet pratique sur les techniques d’intervention.

Mélanie Carpentier est une survivante de la traite humaine à des fins d’exploitation sexuelle. Ayant connu l’enfer, elle a décidé d’écrire et de partager son histoire. En février 2013, Béliveau Éditeur publia J’ai été une esclave sexuelle… Se sortir des gangs de rue! Par sa volonté et sa détermination de briser le silence, Mélanie est devenue un modèle de survie et de réussite auprès d’adolescentes et de femmes ayant connu le même type de victimisation. Elle s’est servie de sa visibilité pour faire une différence dans la vie des victimes en créant La Maison de Mélanie, un organisme offrant un nouveau type d’approche et d’accompagnement en relation d’aide auprès des victimes de la traite humaine à des fins d’exploitation sexuelle. Son prochain objectif est d’ouvrir un centre d’hébergement pour les victimes.
http://www.lamaisondemelanie.ca/

L’équipe de Vérose Média, un regard citoyen :

Modèle alternative, indépendantiste, rebelle, colorée, Vérose Blanche prône la justice sociale et croit encore à un monde meilleur.  Sa créativité s’exprime au gré de ses nombreuses activités dans différents milieux ainsi que sur les réseaux sociaux, et elle est elle-même une muse et une égérie admirée.

Artiste accomplie, Marie, alias Lady Trash, est dotée d’une formation en danse, en théâtre et en musique. Elle a dû mettre un terme à ses études à l’École de danse de Québec à la suite d’un accident. Elle s’est alors tournée vers la photographie et la vidéo sous le nom de Lady Trash. Elle œuvre aussi comme technicienne de scène.

Traductrice, écrivaine et poète, Pascale Cormier est transsexuelle et surtout citoyenne indignée, éprise de justice sociale et de liberté, et allergique au mépris et à la manipulation. Son deuxième recueil de poèmes, « 27 Variations sur le thème du désir », paraîtra prochainement aux Éditions de l’étoile de mer.

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Spectacle-bénéfice au profit de La Maison de Mélanie avec DJ Mélo et plusieurs artistes de toutes disciplines, le dimanche 19 juillet 2015 à 20 h au Pub St-Paul, 124 est, rue St-Paul, dans le Vieux-Montréal. Contribution volontaire (minimum suggéré : 5 $). Détails à venir.

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Renseignements :

514-552-5483 • verosemedia@gmail.com

Pour toi Papa

À toi papa qui s’en est allé sans rien dire

– déjà 20 années passées.

J’ai mis du temps à voir que ta décision était dans le but de ne pas gâcher nos vies, comme tu me l’avais souvent dit

. Tu n’étais pas bien sur cette terre, j’ peux le comprendre, tu as malgré tout baissé les bras!!!

Qui sont-ils pour juger que ton acte était égoïste ou minable ?

Personne d’autre que toi ne connaît les vraies raisons.

Aujourd’hui, à l’âge adulte, je m’accomplis de jour en jour en pensant à toi, me disant que peu importe ce qui arrive, tu es et resteras à tout jamais mon ange gardien.

Papa, tu es celui qui me guide quand je peux songer que la vie n’a pas de sens.

Tu m’as laissé un héritage dont je suis fière, malgré tout, et de la motivation pour dix.

Tu guides mes pas et je tiens à te souligner que grâce à toi, ma vie a un sens.

Un sens caché, tantôt plus difficile à voir au premier regard.

Tu es toujours vivant et présent dans mon coeur.

Tu m’as donné une voie et une envie d’exister.

Ça, c’est sacré! Je t’aime de tout mon coeur papa.

Ça fera 20 ans le 13 juin et tu es toujours aussi près de moi. Je t’aime et ce 4 Ever.

J’vais toujours être la p’tite fille à son papa.

Merci de m’avoir donné des ailes même si je ne suis pas un ange parfois.

One Luv, REste En paix Un jour nous serons réunis, en attendant j’espère que tu peux admirer un peu le chemin que tu m’as tracé …

Ta Fille Qui te Luv

1-866-APPELLE

Téléphone (sans frais) : 1.888.529.5354

Jeunesse J’écoute 1800-668-6868

L’INVISIBLE (à Véro)

silemceSi vous connaissiez cette femme
vous seriez soufflés par son courage
comme on est balayé et projeté dans l’air
par une explosion
comme on devient satellite d’une étoile

si vous pouviez voir d’un coup
toutes les dimensions d’une montagne
ses moindres escarpements
chacune de ses pierres
vous auriez une idée de la grandeur de cette femme
qu’elle s’élance au-delà d’elle-même
ou qu’elle embrasse le cœur des hommes

si vous aviez le quart de sa passion
vous porteriez le monde à bout de bras
franchiriez des murailles de feu
bâtiriez des châteaux lumineux dans le ciel noir
éclabousseriez les murs de couleurs
vous seriez semeurs de beauté

elle joue de ses charmes pour vous plaire
dans un immense éclat de rire
vous ne percevez que le rire et les charmes
vous ignorez ce qui lutte en elle
l’oiseau qui flambe dans son ventre
sa tendresse est une invincible guerrière
elle terrasse la mort à chaque instant

elle s’est relevée tant de fois
a fracassé tant de barrières
jeté des ponts sur tant de gouffres
au milieu des terres agitées
d’un pays plus vaste que la mer
elle est un phare pour guider les esseulés
un sanctuaire pour les oiseaux blessés

si vous saviez
ce que cette femme recèle de beauté
tandis que vous salivez sur son corps
si vous pouviez entendre la voix qui chante en elle
vous seriez éperdus de reconnaissance
comme on sent un diamant qui s’éveille en soi
après avoir bu à la plus pure des sources
aux premières lueurs de l’aube.

© Pascale Cormier, mai 2015

FRAGILES

J’ai la chance de vivre dans un pays
où j’ai le droit de respirer
mais je ne baise que moi-même

j’en connais qui ont peur
elles tremblent de tout leur corps
j’en ai vu qui fuyaient
se pourchassant elles-mêmes
d’autres ont tellement soif
toute l’eau des glaciers n’y suffirait pas
l’amour est aride
pour les femmes qui penchent

j’ai la chance de n’attendre
que le scalpel du chirurgien

j’en connais
qui se peignent des ailes et vivent dans un tombeau
j’en connais qui n’ont pas de chance
les corps qui les entourent sont des corps de rechange
leur vulve murée n’échappe rien d’elles-mêmes
elles se tordent sur leur matelas
s’étranglent avec leurs draps

j’ai la chance insigne
d’être vieille

pour celles qui bouillonnent de sève
dont le ventre palpite
s’ouvrant sur un gouffre cosmique
dans l’éternel ballet des sphères

pour celles qui écartent les cuisses
dans la nuit
une absence absolue qu’elles sont seules à connaître
ne jamais être une moitié qu’à demi
ne se donner qu’à des fantômes
tourner le dos

pour celles que ronge le vide
celles qui n’ont à offrir qu’un seul corps
dans des chambres multiples
le désir est une torture
une insatiable faim
une brume humide et froide

nous aurons des enfants par milliers
nous serons à la fois père et mère
quand on fera de nous des femmes
capables d’enfanter

j’ai la chance de transcender mon agonie
en une autre naissance

j’en connais qui ne font que mourir
subissant leur jeunesse comme une plaie ouverte
elles rampent entre deux mondes
le sexe en étendard
le ventre en charpie

j’en connais qui se rêvent et qui rêvent
réfutant l’effroyable carcan
j’en connais tant qui fuient et je fuis avec elles
sans avancer d’un pas
plutôt brûler mon corps que m’agripper
aux moustaches d’un prince

pour ces âmes à la fois mâles et femelles
des portes sont trop étroites
des regards trop lourds
souvent elles implosent
se dévorent elles-mêmes
déchiquetées dans les barbelés
l’attente est un poison qui rend fou

tandis que j’enfonce le majeur de ma main droite
au plus intime des replis de ma chair
mon sexe atrophié retourné
me pénétrant moi-même
tandis que je défonce d’un doigt fébrile
mon bassin jusqu’au vagin
que je me creuse femme
en me pinçant les seins

mon anus n’est plus qu’un trou noir
où s’engouffre ma féminité
je ne veux plus souiller mon désir

j’en connais qui désirent encore
qui éclatent entre des mains maladroites
retombent en éclats de cristal
il suffit d’un rien pour anéantir
ces femmes étranges
baisées plus qu’aimées
plus fortes que leur naissance
moins vivantes que la mort

moi
j’ai un cœur de petite fille
qui ne joue qu’avec elle-même
et qui n’attend personne

je n’en connais pas
qui ne voudraient pas être ailleurs.

© Pascale Cormier, février 201410383482_1512398485683182_8254304242544589080_n

SI J’AVAIS

Si j’avais de l’argent
je paierais une femme pour coucher avec moi
sentir sa peau contre ma peau
sa chaleur contre ma chaleur
pour me trouver nue et vivante entre ses bras
et si je l’aimais
je la couvrirais de perles et de diamants
pour qu’elle couche avec moi toutes les nuits
jusqu’à la fin des temps

si j’avais le courage d’une femme publique
tu devrais me payer pour coucher avec moi
je me donnerais à tous mais ne ferais rien pour rien
je serais libre dans mon corps et dans ma tête
ma joie ne devrait rien à personne

si j’étais nue sur une toile
je voudrais que ce soit une peinture érotique
avec une nymphette qui me pince les seins
une autre à califourchon sur mon ventre
et un beau moustachu entre mes cuisses
je m’amuserais bien
tandis que de vieux saligauds baveraient sur ce charmant tableau

si j’avais le corps qui me ressemble
si j’avais le pouvoir de séduire
j’ouvrirais grand mes bras et mon sexe
à tous les hommes et toutes les femmes que je voudrais aimer
je m’abandonnerais à leurs caresses
leur plaisir se mêlerait au mien

mais je ne vis qu’en attendant de vivre
le ventre vide et le sexe blessé
avec ma tendresse écorchée
mes replis intimes qui se dessèchent
ma peau aigre et tannée
mes plus doux secrets oubliés

si j’avais un peu d’argent
je le donnerais à une femme pour qu’elle couche avec moi
la tenir toute une heure toute nue dans mes bras
chaude et vibrante et vulnérable
autant que moi
pour me sentir enfin vivante
pour quelqu’un
pour une fois.

© Pascale Cormier, mai 2015Pascale si javais