Fontaine de lumière

Véro

Fontaine de lumière

Tu n’es pas ce rocher multicolore

ce repère pour les égarés

toi qui fuis l’immobilité

toi plus tendre que l’amour tendre

tu n’es pas non plus ce mystère

qui obsède tant d’hallucinés

ils ne te voient que par transparence

dans leurs orbites vides

comme une vague ressemblance

une ombre dans la nuit

tu n’es pas cette flamme éternelle

qu’aucun vent ne peut fléchir

à l’abri ni du froid ni de l’obscurité

je t’ai vue couchée presque morte

chaque fois tu te relèves et tu flambes

ceux-là ne voient que ce qu’ils veulent entendre

projetant sur toi leurs désespoirs

entre le désir et la peur

ceux-ci t’inventent et s’en épouvantent

contemplent ton filigrane et croient te posséder

tu fais crépiter tant de songes

tu n’es pas que cette guerrière

ô ma sœur de lumière

ô jumelle de ma rage

casquée d’un arc-en-ciel

les yeux armés de comètes

quand d’autres rampent tu te lèves

quand d’autres fuient tu fais face

d’autres croient que tu n’as peur de rien

je connais ton oiseau blessé

les heures grises où mon cœur t’a bercée

ô ma sœur ton amour est immense

mes jours s’imprègnent de tes couleurs

l’une dans l’autre nos existences se déversent

tu vaux bien plus que toutes tes légendes

toi plus vivante que la vie.

© Pascale Cormier, octobre 2015

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Deux titres publiés en 2014 aux Éditions de l’étoile de mer :

« Cendrier » (conte) et « La Fille prodigue » (poèmes).

Vient de paraître chez le même éditeur :

« 27 Variations sur le thème du désir » (poésies érotiques)

Pour commander :

http://www.etoiledemer.ca/livre/27-variations-sur-le-theme-du-desir/

http://www.etoiledemer.ca/livre/la-fille-prodigue/

http://www.etoiledemer.ca/livre/cendrier/

En numérique et impression à la demande (disponible dans toute la francophonie) : http://www.bouquinplus.com/editeurs.asp (cliquez sur Les Éditions de l’étoile de mer)

Collectifs de l’arc-en-ciel littéraire :
www.arcenciellitteraire.ca

Merci de m’encourager! ❤

Personne n’a demandé à venir au monde (2/2)

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Partie 2 ● La lutte pour les droits civiques

Chaque fois que je passais sur ce petit pont, mon regard était attiré par la rivière et les rochers en contrebas. J’évaluais la solidité du garde-fou, et la vitesse à laquelle je devrais y lancer ma voiture pour qu’il cède et que je me tue à coup sûr.

Je voulais déguiser mon suicide en accident pour éviter à mon entourage un chagrin inutile. Je me disais qu’on se consolerait vite de ma disparition, moi qui m’appartenais si peu; moi qui ne vivais qu’à moitié. Je ne songeais plus à ma fille qui, à quatorze ans, avait encore besoin de son père, même si elle avait choisi, récemment, d’habiter chez sa mère. Je ne songeais plus à mes parents, à mes amis, à mes proches qui allaient certainement me pleurer et me regretter.

Je songeais seulement à mon infinie solitude.

Je n’étais tout simplement plus capable de vivre avec ce lourd secret, dans le déni et le mensonge, prisonnière d’un corps qui n’était pas, qui ne pouvait pas être le mien, forcée d’endosser un rôle qui me détruisait. D’aussi loin que je me souvienne, j’avais traîné comme autant de boulets ma peur envahissante, mon mal de vivre et ma mélancolie. J’allais avoir cinquante ans. Je n’avais plus la force de continuer. D’une manière ou d’une autre, il fallait en finir.

Ignorance et stigmatisation

De nombreuses personnes trans relatent un parcours similaire, et la plupart des trans que je connais ont frappé ce mur tôt ou tard.1 Cela peut arriver à cinq ans comme à 65 ans, mais on n’échappe pas à sa nature profonde.

Contrairement à une croyance répandue, la transidentité n’a rien d’une maladie mentale. Ses origines sont vraisemblablement multiples, bien que la piste génétique semble la plus prometteuse. Mais si la recherche dans ce domaine demeure embryonnaire, ce n’est pas que la fluidité des genres soit une construction de l’esprit sans fondement réel : c’est que la science ne s’y intéresse que depuis peu, bien que ce phénomène, souvent assimilé à tort à des comportements homosexuels, soit observable chez de nombreuses espèces animales.

Dans des cas extrêmes, notamment chez les batraciens et les poissons, on assiste carrément à des changements de sexe complets, des mâles devenant des femelles pondeuses parfaitement conformées et fécondes. Ce phénomène se produit naturellement dans bien des cas, mais il semble qu’on assiste à une recrudescence de ces mutations, y compris chez des espèces où elles n’avaient jamais été observées auparavant. Mais en l’occurrence, le responsable est connu : ce sont les œstrogènes contenus dans la pilule contraceptive qui ont, au fil des décennies, contaminé la nappe phréatique et les cours d’eau, entraînant ces mutations non seulement chez les poissons et les amphibiens, mais peut-être aussi, jusqu’à un certain point, chez les humains. Du moins est-ce l’opinion la plus répandue dans les milieux scientifiques; mais on pointe aussi du doigt les pesticides, les OGM, diverses autres formes de pollution, et même les micro-ondes et les taux de radiation élevés – ou une combinaison de ces facteurs.

Quoi qu’il en soit, l’existence même de la transsexualité et des transidentités en tant que condition non-pathologique n’est plus objet de débat au sein de la communauté scientifique, pas plus que ne le sont l’homosexualité ou la bisexualité. On accepte désormais ces réalités comme des faits de nature et des champs d’étude à explorer.

Malheureusement, les mythes et les préjugés ont la vie dure.2 Les personnes trans sont encore trop souvent stigmatisées, considérées comme malades ou perverses et tenues à l’écart, voire objet de brimades et de moqueries. Il leur est plus difficile qu’à d’autres de trouver un emploi, de se loger, souvent même d’être servies, que ce soit dans le réseau de la santé et les divers guichets de services de l’État ou dans l’industrie privée. Tout cela contribue à les appauvrir et à les fragiliser. L’ignorance, on le sait, est un facteur de méfiance et de peur qui peut conduire à tous les abus, voire à toutes les violences.

Dysphorie de genre et suicide

La dysphorie d’identité de genre est une forme de dépression grave qui mène fréquemment au suicide, et pour laquelle il n’existe qu’un seul remède : faire correspondre, autant que possible, le genre affiché et assumé au genre ressenti. Les possibilités sont vastes, d’un simple travestissement plus ou moins occasionnel à un remodelage du corps par la prise d’hormones et la chirurgie. Mais quelle que soit la voie empruntée, il ne s’agit ni d’un caprice ni d’une perversion : c’est une question de survie.

Ce qui est souffrant, à vrai dire, ce n’est pas tant d’assumer sa transidentité – qu’on se définisse comme transsexuel, transgenre (terme générique), queer, androgyne, de genre «neutre» ou «indéterminé», ou travesti – que d’être empêché de l’assumer, justement. C’est la pression sociale et familiale, et non la condition elle-même, qui induit la dépression.3

Pour ma part, je suis née à une époque et dans une société où la transidentité n’était pas une option envisageable : je devais «faire un homme de moi», ainsi que m’y exhortaient les adultes de mon entourage. Il n’était même pas question de donner libre cours à ma féminité : cela faisait de moi une «tapette», c’est-à-dire un être méprisable et ridicule sur qui les coups et les crachats pleuvaient, et qui jetait le discrédit et la honte sur sa famille. Il ne me restait donc qu’à serrer les dents et refouler.

Quoi d’étonnant, dans ces condition, à ce qu’on songe souvent au suicide?

Selon une récente étude ontarienne, environ 22 % des personnes trans ont déjà tenté de s’enlever la vie et 43 % ont envisagé sérieusement le suicide au Canada, aux États-Unis et en Europe, et 9 % à 10 % avaient fait au moins une tentative dans l’année écoulée – alors que ces taux n’étaient que de 0,6 % de tentatives et 3,7 % de pensées suicidaires pour l’ensemble de la population canadienne.4 Une autre étude, également menée en Ontario, présente sensiblement les mêmes statistiques, en plus d’établir une corrélation entre les taux de suicidabilité et les mauvais traitements subis.5

Une violence aveugle

Dans de nombreux pays, les transsexuels – et souvent les homosexuels avec eux – sont traités en parias, voire en criminels, et risquent à tout moment d’être tabassés, torturés, arrêtés ou même lynchés.6 Je ne pourrais pas, aujourd’hui, remettre les pieds au Cameroun, pays de mon enfance, sans risquer ma vie. Ailleurs, plus hypocritement, on ne condamne pas officiellement l’homosexualité ni la transsexualité, mais on invente des concepts fumeux comme la «propagande homosexuelle» ou la «théorie du genre» pour mieux justifier la stigmatisation et la répression des LGBT.

Dans les sept dernières années seulement, on rapporte plus de 1 700 meurtres de personnes trans dans le monde – et cette triste statistique est à la hausse presque partout.7 De l’invective au meurtre en passant par toutes les formes d’humiliation et d’intimidation, aucune violence n’est épargnée aux personnes trans, généralement du seul fait de leur existence. Les transgenres constituent l’un des groupes sociaux les plus à risque, voire le plus exposé à la stigmatisation et aux crimes haineux.8

Des droits à conquérir

Dans les années 1950 et 1960, au plus fort de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis, les suprématistes blancs multipliaient les arguments fallacieux pour justifier la ségrégation raciale. C’était une question d’hygiène (les Noirs n’étaient pas propres, ils sentaient mauvais, ils étaient porteurs de maladies), de sécurité (les Noirs étaient violents, ils n’avaient pas de sens moral, ils étaient voleurs, menteurs et sournois, et tous les hommes noirs rêvaient de violer des femmes blanches) et même de culture (les Noirs ne pouvaient être bien qu’entre eux, ils ne vivaient pas «comme tout le monde», ils avaient leur façon bien à eux de se comporter et de s’exprimer)…

Ces préjugés imbéciles ont encore cours aujourd’hui, bien qu’ils soient moins répandus qu’à l’époque. Toutefois, ils ne peuvent plus servir de fondements aux politiques publiques adoptées aux États-Unis : la lutte pour les droits civiques aura au moins servi à ça. Soixante ans plus tard, il reste beaucoup à faire, mais les Noirs américains ont obtenu, au moins sur papier, le statut de citoyens à part entière.

En tant que femme trans québécoise en 2015, j’aimerais pouvoir en dire autant. Mais nous n’en sommes qu’au commencement de la conquête de nos droits. Et les poches de résistance sont nombreuses.

Depuis le 1er octobre 2015, il est maintenant possible, au Québec, d’obtenir le changement du nom et de la mention de sexe à l’État civil sur simple déclaration appuyée par un témoin assermenté. Cette mesure législative a été préparée de longue date et avec soin par des militants trans qui ont fait preuve d’une rigueur et d’une ténacité exemplaires, avec l’appui de fonctionnaires allumés.9

Pour des milliers d’hommes et de femmes trans, c’est une libération. Auparavant, il fallait subir des traitements hormonaux et une chirurgie de réassignation sexuelle complète avant de pouvoir obtenir cette reconnaissance. Mais beaucoup de personnes trans, pour des raisons médicales ou autres qui leur appartiennent, ne veulent ou ne peuvent se soumettre à ces traitements longs, douloureux et forcément risqués. Désormais, celles qui le souhaitent auront la possibilité d’être socialement acceptées pour ce qu’elles sont : des hommes et des femmes à part entière. Avec preuve administrative à l’appui. Notre condition ne sera plus assimilée à une maladie qui nécessite forcément et dans tous les cas des soins médicaux.

Je pourrai enfin me présenter comme femme à une entrevue d’embauche, à un guichet de services, à l’hôpital – partout – sans devoir chaque fois me justifier de ma propre existence. Je pourrai voyager (presque) partout, mon passeport attestant que je suis bien une femme du nom de Pascale Cormier. Pour tous, j’aurai fini d’être un fantôme.

La transphobie des hypocrites

Bien sûr, il fallait s’attendre à ce qu’une telle mesure administrative en offusque plus d’un, et c’est sans surprise que j’ai pris connaissance du déluge habituel de propos transphobes de la part de tout ce que le Québec compte de machos insécures, de réactionnaires et de fanatiques religieux. Cela ne m’a guère affectée : je m’y attendais.

Plus étonnantes et douloureuses, pour moi, ont été les attaques émanant de personnes que j’avais prises pour des alliées, voire pour des amies. Car c’est du champ gauche que sont venus les coups les plus durs et les plus sournois – plus particulièrement de certaines franges féministes fanatiques qui ont pris un peu trop au pied de la lettre la fameuse phrase de Beauvoir : « On ne naît pas femme : on le devient ».

Selon cette doctrine, seule la génitalité distinguerait les hommes des femmes : mis à part les organes reproducteurs, il n’existerait aucune différence fondamentale entre un homme et une femme. Tous nos comportements genrés seraient exclusivement le fruit d’un construit social. Le transsexualisme serait donc une complète aberration, car un enfant en bas âge ne pourrait pas «se sentir garçon» dans un corps de fille ou «se sentir fille» dans un corps de garçon, à moins d’y avoir été conditionné par sa famille. Étant née avec un pénis, je serais donc un homme, que ça me plaise ou non. Un homme malade, en proie à un profond trouble de la personnalité, qui se prend pour une femme, ou un homme pervers qui tente, dans quelque sombre dessein, de se faire passer pour femme – mais un homme quand même.

Je ne me lancerai pas ici dans un long exposé philosophico-zoologique sur la masculinité et la féminité dans le règne animal : cela nous entraînerait trop loin. Mais soutenir qu’il n’existe aucune différence innée entre les comportements d’un mâle et ceux d’une femelle m’apparaît d’une extravagante aberration. Il suffit de s’être intéressé un tant soit peu au comportement animal pour comprendre tout de suite que cette croyance ne tient pas la route.

Je dirai seulement ceci : je ne suis ni folle ni perverse, et ma féminité, qui fait le désespoir de mes parents, n’est certes pas le résultat d’un quelconque conditionnement familial. Si je ne suis pas devenue un homme après plus d’un demi-siècle de vie, ce n’est pas faute d’avoir essayé d’en être un, ni faute d’avoir subi toutes les pressions du monde pour me conformer à ce qu’on attend généralement d’un mâle dans notre société.

Quand le gouvernement du Québec a annoncé cette mesure législative tant attendue, j’ai vu avec horreur des personnes qui se prétendaient féministes et progressistes ressortir sensiblement les mêmes arguments contre nous que les suprématistes blancs américains des années 1950 et 1960 contre les Noirs. Les femmes trans n’étaient pas de «vraies» femmes : c’étaient des hommes pervers qui se déguisaient en femmes pour accéder aux toilettes et aux vestiaires sportifs réservés aux femmes, dans le seul but de s’y rincer l’œil, quand ce n’étaient pas des prédateurs en quête de proies. Si ce nouveau règlement était adopté tel quel, on allait certainement assister à une épidémie de viols et d’ITS – car il est bien connu que les personnes trans, en plus d’être des violeurs travestis, ont toutes le SIDA et la gonorrhée. Et la meilleure, sans doute : les femmes trans étaient le cheval de Troie du patriarcat, c’est-à-dire des hommes sexistes acharnés à maintenir les pires stéréotypes féminins en les singeant, et traquant les «vraies» femmes jusque dans leurs derniers retranchements!

La question qui préoccupait tout ce beau monde-là était la suivante : le nouveau règlement sur le changement de la mention de sexe n’allait-il pas rendre les femmes plus vulnérables en ouvrant la porte de leurs vestiaires et de leurs toilettes à d’éventuels prédateurs? Des femmes pour lesquelles j’avais de l’estime et de l’affection m’ont assuré que cette question était légitime, et quand je leur ai fait remarquer qu’elle était surtout épouvantablement transphobe en ce qu’elle présupposait que les personnes trans, groupe vulnérable entre tous, étaient plus dangereuses et plus perverses que le reste de la population, elles se sont offusquées. L’une d’elles m’a même dit, croyant sans doute me faire un compliment : «Mais toi, c’est pas pareil, personne ne se méfie de toi, on le sait que tu es une bonne personne.»

Une bonne personne. Comme le bon nèg’ de jadis, que le bwana blanc pouvait laisser entrer dans sa maison parce qu’il était propre sur lui, discret, docile et zélé. Le bon nèg’ que les autres Noirs appelaient avec mépris un «Oncle Tom», d’après le célèbre roman de Harriett Becher Stowe paru en 1852 qui racontait l’histoire d’un esclave noir américain servile et satisfait de son sort, toujours prompt à défendre ses maîtres.

C’est un rôle que je récuse avec la dernière énergie. Je ne serai pas un «Oncle Tom» trans. Quand on fait partie d’une minorité opprimée, on ne peut qu’être solidaire de ses semblables : c’est un devoir et une nécessité. Je défendrai jusqu’à mon dernier souffle les droits et la dignité de toutes les personnes trans, y compris de celles que je ne peux pas piffer. Parce que je ne serais pas capable de me regarder dans un miroir si j’agissais autrement.

Je ne me prive pas d’aller dans les toilettes pour dames depuis le début de ma transition, et cela ne m’a jamais attiré le moindre ennui. Tout au plus ma carrure imposante me vaut-elle parfois quelques regards appuyés. Je me rends dans ces endroits pour y faire la même chose que toutes les autres femmes : me soulager d’un besoin pressant et me refaire une beauté. Les femmes que j’y croise le comprennent tout de suite et me laissent tranquille; je ne dérange pas. Et c’est le cas pour la quasi totalité des femmes trans que je connais. Les incidents sont rares et le plus souvent provoqués par des femmes transphobes, non par les trans elles-mêmes.

Les mauvaises intentions qu’on prête aux femmes trans relèvent du fantasme : celles que je connais sont généralement pudiques et n’iraient jamais s’exhiber dans un vestiaire, une toilette ou un autre lieu public. Il ne faut vraiment rien connaître ni rien comprendre à la réalité des femmes trans, et à leur rapport à la génitalité, pour croire qu’elles pourraient s’amuser à agiter sous le nez des autres femmes un pénis qui est le plus souvent pour elles source de honte, d’embarras et de dégoût. En outre, les prédateurs sexuels ont des moyens moins compliqués et moins coûteux de traquer leurs proies que d’entreprendre une démarche de changement de sexe, avec tout ce que cela implique sur le plan personnel et social!

Je me réjouis de l’entrée en vigueur du nouveau règlement ce mois-ci, et je serai parmi les premières à m’en prévaloir. Mais dans l’intervalle, les échanges acrimonieux auxquels j’ai été mêlée m’auront incitée à prendre quelque peu mes distances des réseaux sociaux, et j’y aurai perdu quelques amies. Je n’ai peut-être pas l’étoffe d’une Rosa Parks, mais je ne trahirai pas les miens en devenant une sorte d’animal de compagnie qui ne fait pas de vagues et qu’on exhibe pour flatter son ego, pour montrer qu’on est moderne et ouvert d’esprit : « Je ne suis pas transphobe, la preuve : j’ai une amie trans.» Je ne serai pas cette amie-là.

Parmi les transphobes qui s’ignorent, les plus «généreux» proposent, en guise de solution de rechange, qu’on permette aux personnes transgenres d’obtenir la mention de sexe «neutre» ou «autre» sur leurs documents officiels. Qu’on offre une telle possibilité aux intersexes, aux androgynes ou aux queers qui le désirent, je n’y vois aucune objection. Mais il est hors de question que je me laisse ghettoïser ainsi : je n’appartiens pas à un sexe «neutre» ou «autre», je suis une femme et j’entends le rester. Ma féminité, je l’ai conquise de haute lutte; je ne l’ai volée à personne. Et je ne m’en laisserai certainement pas dépouiller par des esprits mesquins qui se croient généreux en niant ma réalité. Leur enfer pavé de bonnes intentions, ils peuvent se le garder. Toutes les femmes trans que je connais seraient d’accord avec moi sur ce point.

Manière de conclure

À l’approche de la cinquantaine, j’ai été confrontée à un choix : m’assumer ou mourir. J’ai choisi la vie et je ne le regrette nullement. Près de quatre ans plus tard, j’en suis encore à m’émerveiller de vivre enfin. Ma situation financière n’est pas brillante; ma santé est chancelante, ce qui retarde mes traitements et la chirurgie que j’espère; mais dans l’ensemble, je vais bien.

Ma grande fille a maintenant 18 ans. Elle part en appartement avec son chum le mois prochain. Elle a trouvé un travail à temps plein, elle est pleine de ressources et de talents, et nos relations sont meilleures que jamais : nous sommes de vraies complices, nous nous racontons tout en gloussant comme des gamines. Depuis le début de ma transition, j’ai développé des amitiés riches et profondes, et j’ai même trouvé des sœurs cosmiques qui me rendent chaque jour la vie plus belle et plus digne d’être vécue. Et j’ai réalisé un rêve que j’avais caressé toute ma vie, en publiant enfin mes poèmes et mes écrits chez un éditeur reconnu (Les éditions de l’étoile de mer, pour ne pas le nommer).

On ne choisit pas d’être transgenre. Pas plus qu’on ne choisit d’être Noir, homosexuel ou handicapé. Et si on commençait, dès maintenant, à inventer un monde où chacun serait encouragé à prendre la place qui lui revient, ni plus ni moins, au lieu de se heurter constamment aux obstacles que des imbéciles érigent sur sa route pour se persuader eux-mêmes de leur supériorité morale? Vivre et laisser vivre : telle est ma loi. Qui m’aime me suive.

© Pascale Cormier, octobre 2015

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1 Lanctôt, Jacques, Michelle Blanc – Un genre à part, Éditions libre expression, Montréal, 2012.
 Entrevue avec la chanteuse punk Laura Jane Grace (en anglais) : http://www.independant.co.uk/news/people/profiles/laura-jane-grace-interview-punks-transgender-pioneer-on-her-struggle-for-acceptance-10464360.html
Discours de la réalisatrice Lana Wachowski (en anglais) : http://www.hollywoodreporter.com/news/lana-wachowski-reveals-suicide-plan-382169 
2 Concernant quelques mythes courants sur les personnes trans : http://www.cdnaids.ca/files.nsf/pages/feuillets-dinformation-mythes/$file/Feuillets%20dinformation%20-%20MYTHES.pdf 
Un document de vulgarisation assez bien fait, publié par une association suisse : http://www.aspasie.ch/files/Brochure_parlons_trans_web.pdf
Pour aller plus loin, une étude écossaise très complète (en anglais) : Trans Mental Health Study 2012 http://www.scottishtrans.org/wp-content/uploads/2013/03/trans_mh_study.pdf 
3 No, High Suicide Rates Do Not Demonstrate That Transgender People Are Mentally Ill http://thinkprogress.org/lgbt/2015/06/22/3672506/transgender-suicide-rates/
4 Intervenable factors associated with suicide risk in transgender persons: a respondent driven sampling study in Ontario, Canada http://www.biomedcentral.com/1471-2458/15/525 
5 http://transpulseproject.ca/research/suicidality-among-trans-people-in-ontario-la-suicidabilite-parmi-les-personnes-trans-en-ontario/ 
6 Au moins 226 personnes trans ont été assassinées au cours des 12 derniers mois http://yagg.com/2014/11/03/trans-murder-monitoring-signale-226-assassinats-de-personnes-trans-au-cours-des-douze-derniers-mois/ 
Aux États-Unis, une vague de meurtres touche les femmes transgenres http://www.slate.fr/story/105877/etats-unis-vague-meurtres-touche-transgenres-noires
 Amériques: 770 meurtres et voies de fait graves de personnes LGBT http://76crimesfr.com/2014/12/27/ameriques-770-meurtres-et-voies-de-fait-graves-de-personnes-lgbt/
7 Transgender Europe’s Trans Murder Monitoring (TMM) project 
http://tgeu.org/tmm-idahot-update-2015/
8 Statistiques fournies par l'Aide aux trans du Québec (ATQ) : http://www.atq1980.org/archives/articles/statistiques-sur-les-personnes-transsexuelles/
 Le Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe Thomas HAMMARBERG a fait paraître le 29 Juillet 2009, en Anglais, un document thématique TRES important (52 pages en .pdf, accessible depuis le 14 Septembre en Français) intitulé: “Droits de l’Homme et Identité de Genre”.
http://issuu.com/atq.1980/docs/droit_de_lhomme_et_de_lidentite_de_genre/52?e=0
9 Document du Comité trans du Conseil Québécois LGBT : http://www.assnat.qc.ca/Media/Process.aspx?MediaId=ANQ.Vigie.Bll.DocumentGenerique_72497&process=Default&token=ZyMoxNwUn8ikQ+TRKYwPCjWrKwg+vIv9rjij7p3xLGTZDmLVSmJLoqe/vG7/YWzz

Une Pilule Difficile à avaler

Je suis masseuse érotique depuis déjà plusieurs années.

En fait, je m’interroge à savoir si je dois maintenant parler au passé.

J’ai fait divers salons suite à la vente de ceux-ci qui finissaient par changer de vocation.

Je m’explique : la plus grande pratique que j’ai fait est la branlette.

Je suis jamais allée plus loin, par choix et respect de mes limites .

Alors cela m’a aussi valu de devoir changer de place quand les extras se mettaient de la partie . J’ai aucun problème avec les escortes , Mais que celles-ci soient venues faire foirer les rares salons de massage érotique qui restaient en ville, je leur en veux, oui!

Je crois que ça fait 4 salons ou j’ai passé qui revirent du tout au tout.

Et ce sans se soucier que les TDS y travaillant ne voulaient pas et pouvaient pas continuer d’exercer leur sensuel corps à corps.

Non, comme la nouvelle offrait la pipe pour un prix similaire ou un 20$ de plus…

Rien qu’à voir tous les miteux semblants de salons qui ont ouvert dans les dernières années, c’est évident et cela n’a pas été contrôlé du tout.

J’ai fait neuf ans en tout et non, je ne ferai pas de l’escorte parce que le patron du salon où je suis a décidé sans nous consulter qu’il fallait faire ça partout, maintenant, pour avoir de la clientèle.

À ce niveau-là, ça commence à ressembler à de l’exploitation, je crois? Quand les TDS d’un endroit tiennent à ne pas faire plus que le massage érotique réel corps à corps et non pas offrir des complets, c’est un minimum de respect de les en aviser quand les choses ont changé, non?

Depuis quelques années, le crime organisé a mis le grappin sur la plupart de ce qui se disait des salons de massages érotiques sous de faux couverts, et qui sont réellement des bordels.

On a dû accepter cette déviation et se taire pour celles qui voulaient continuer à travailler, et subir une énorme baisse de clientèle comme les escortes se sont fait passer pour des masseuses érotiques, détruisant ainsi le vrai métier d’une masseuse érotique dans toute sa sensualité sans aller jusqu’au full.

C’est regrettable, vraiment, y a de la place pour tout le monde il me semble. Pourquoi toujours choisir le plus facile mais qui peut aussi coûter de bien plus grandes peines vu les lois débiles et répressives.

Sûrement que si les journaux et sites avaient pu continuer à annoncer les salons de massage érotique, et si les salons avaient été un peu mieux contrôlés, cela aurait clairement pu permettre de sauver la profession de masseuse érotique, les professionnelles du corps à corps et de la sensualité.

Car d’après notre clientèle, ils ne veulent pas tous d’une pipe sur un matelas miteux par terre faite par une inconnue sans protection…

Se faire dire de quitter parce que tu veux pas fourrer, alors que tu as passé des journées entières à remplacer durant des années afin d’aider le salon et d’éviter que celui-ci ferme ou fasse faillite, et d’apprendre par les petites annonces qu’ils sont devenus à +++… C’est dégoûtant.south park

D’une Masseuse Érotique

SALONS DE MASSAGES ÉROTIQUES : UN TÉMOIGNAGE

massage-huile-essentielle

Ça se passe en 2007. Je travaillais comme masseuse érotique chez K. Un salon où je suis restée plusieurs années. J’y étais bien . Un salon « straight », ce qui n’existe presque plus aujourd’hui, en 2015.

J’étais bien, chez K, pour plusieurs raisons. La première, c’est que le boss, très respectueux de notre intimité, n’était presque jamais là. Nous avions, bien sûr, une salle des filles avec télé câblée, Wi-Fi, etc… Un salon de massage nous offre un environnement sécuritaire, on n’y est jamais seule. On avait d’ailleurs le droit de refuser un client. Ce n’était que le massage et la branlette, la réceptionniste nous surveillait pour s’assurer qu’on n’en faisait pas plus.

Durant ma première année là-bas, j’ai fait la connaissance de plusieurs jeunes femmes qui y travaillaient. Certaines sont devenues de très bonnes amies à moi. La plupart ont quitté le domaine, à présent. Je me suis surtout liée avec quatre femmes avec qui c’était un plaisir, finalement, de passer mes journées. On rigolait et s’amusait énormément.

Ali a été la première d’entre nous à quitter. Elle est retournée a l’école et travaille maintenant dans le domaine de la santé. Elle a pu se payer son cours grâce à ce qu’elle a pu amasser en bossant chez K. Si je me rappelle bien, elle y a fait à peine un peu plus d’un an. Elle n’avait pas besoin de consommer pour travailler, et elle se porte très bien. Elle vit en couple aujourd’hui.

Ange est celle avec qui j’ai encore le plus de contacts. Une grande femme. On s’est revues quelques fois et on échange souvent. Elle a passé un seul été avec nous, qui fut inoubliable. Elle ne consommait pas non plus. Elle est maintenant mariée et intervenante sociale avec deux enfants.

Gab est celle qui est restée le plus longtemps, je crois – plus ou moins trois ans. Pendant que son copain était en prison, elle ramassait des sous et ensuite, à sa sortie, elle a quitté le domaine pour retourner aux études. Elle travaille maintenant dans le domaine de la santé. Elle est mariée et mère, elle aussi, de deux beaux enfants.

Chris n’a passé que quelques mois avec nous. Elle a choisi de prendre le chemin du service d’escorte et des danses contacts par la suite. Elle est maintenant maman et très heureuse en couple, et elle désire retourner aux études.

Après plus de trois ans, je suis partie à cause d’une mésentente avec une nouvelle réceptionniste, à mon grand regret. Quand elle a quitté, deux ans plus tard, j’y suis retournée pour plusieurs mois, jusqu’à ce que le salon soit vendu à un nouveau propriétaire qui avait de nouvelles exigences et demandait aux filles de faire plus. Alors, j’ai trouvé un autre endroit « straight » pour travailler quelques années de plus. Et j’y ai rencontré d’autres jeunes femmes dont deux sont toujours de très bonnes amies, plusieurs années plus tard, alors qu’elles ont quitté le domaine depuis longtemps, elles aussi…

Il n’y a pas que des histoires tristes dans les métiers du sexe. On y fait aussi d’étonnantes et fabuleuses rencontres. Ce qui, au fil du temps, fait tomber tous les préjugés qu’on pouvait avoir auparavant sur ce milieu… Pour ma part, je suis toujours dans le domaine et ce, par choix. J’ai épongé toutes mes dettes qui m’étouffaient depuis trop longtemps, et maintenant, je ramasse pour le futur. N’ayant ni dépendance ni proxénète à nourrir, ce boulot me permettra aussi de retourner aux études à mon tour, dans les prochains mois. Par la suite, je pourrai exercer mon métier et conserver le métier de TDS à temps partiel, selon mes besoins et sans aucune obligation.

Je voulais vous démontrer, aujourd’hui, que beaucoup de TDS s’en sortent d’elles-mêmes, car elles utilisent les métiers du sexe comme tremplin ou vache à lait pour pouvoir payer dettes et études, et s’outiller pour le futur. Il est rare que quelque chose soit tout noir ou tout blanc.

– C., masseuse érotique – octobre 2015