Érotisme, féminisme et BDSM

yannick5-jpg

Il y a peu, on m’a demandé de m’exprimer au sujet du lien entre féminisme et BDSM. Pour clarifier dès le départ, je dois mentionner que je m’intéresse personnellement aux deux sujets, pas uniquement en tant qu’observatrice. De toute manière, j’ai toujours cru que pour bien comprendre quelque chose de complexe, il fallait s’y adonner corps et âme pour un certain temps, du moins, dans le désir d’y abandonner sa volonté pour l’expérimenter pleinement. Car il faut le faire sans arrière pensée, dans l’intérêt de vivre intensément la chose et dans le but de pouvoir en parler du moins sans parti pris.

 

Aussi, puisque cette demande fut d’abord une question privée mais que je considère qu’elle est d’intérêt public, j’ai décidé d’en faire un billet séparé et de le publier. Considérons donc, puisque cet article pourra être lu par des personnes ne me connaissant que peu ou pas, que je suis féministe, ce qui pour moi veut simplement dire d’être à l’écoute et à la défense des besoins de mes sœurs de par le monde, les femmes. Je suis aussi kinkster, c’est-à-dire que je perçois ma sexualité comme plus complexe que d’être une réponse physiologique aux simples questions de reproduction, de jouissance ou d’orgasme, et qu’elle inclut des fantasmes qui possèdent un but et un plaisir en eux-mêmes. Je suis donc féministe parce que j’ai à cœur le bien-être de toutes les femmes; et si je suis kinkster, c’est que j’ai à cœur mon intégrité et mon propre épanouissement. Je tenterai donc de vulgariser mon opinion sur les rapports entre féminisme et BDSM sans tomber dans la critique ou l’apologie injustifiées, ni dans les histoires, même si palpitantes, de ma vie personnelle.

 

D’abord, en tant que spécialiste des religions, l’un des intérêts que j’ai depuis longtemps est celui d’étudier les pratiques rituelles, spirituelles ou religieuses; aussi, je m’intéresse de près à la psychanalyse. Sans tomber dans une longue analyse du rapport entre sexualité et religions, je peux affirmer rapidement que plusieurs religions ont pu s’être développées autant à partir des expériences extatiques et passionnelles des sujets charismatiques, qu’à travers la déviance ou la sublimation de cette pulsion extatique et vitale qu’est l’énergie sexuelle. Le déni du désir libidinal qui habite les personnes dévie son expression en des manifestations, en paroles ou en actions qui ne sont pas nécessairement reliées directement avec la sexualité. Il s’agit bien là d’une contradiction apparente qui expliquerait en partie ce déni dans les sphères personnelle tout comme sociale: nous avons d’une part une libido qui cherche à s’exprimer hors du sujet et des cadres moraux qui restreignent ces pulsions extatiques. Un fort déni religieux de la sexualité a donc pu être la cause de plusieurs pratiques religieuses barbares, comme le port du cilice et la flagellation, ou bien l’intérêt excessif envers la « torture des sorcières » lors de l’Inquisition. Il est possible qu’un excès d’interdit stimule le fantasme, par une forme de transfert du désir. Ce désir porté par le sujet, détourné vers la satisfaction de la pratique sexuelle en elle-même et pour elle-même, donne naissance au fétichisme comme forme de déviation sexuelle. C’est ainsi qu’on a vu les Gilles de Rais et Comtesse Bathory, ainsi que plusieurs autres personnalités atteintes de psychoses sexuelles déchaîner leur pulsions morbides sans être même découverts ou remis en question par les autorités de l’époque. Puisque l’interdit sexuel ne touche que la sexualité et ne se révèle que dans l’intimité, le respect des codes sociaux masquait donc tout ce qu’il y avait de plus inhumain chez ces personnes. Mais le milieu BDSM, bien qu’ouvert à la diversité des expressions non-conventionnelles de la sexualité, ne permettrait jamais ces écarts; car il se fonde sur une réciprocité des besoins et des désirs ainsi que sur le consentement mutuel. Ce milieu a vu l’élaboration, avec le temps, de tout un ensemble protocolaire de normes régissant les comportements sociaux, permettant d’endiguer les déviances psychotiques et de prévenir les écarts de conduites dès qu’ils sont manifestes et apparents.

 

L’erotica littéraire s’était aussi emballée pendant une époque qui voyait l’influence de la religion diminuer de plus en plus, ce qui permettait alors d’extérioriser les passions sans toutefois encore, les laisser se déchaîner. Il se développa surtout autour années 40 et 50, après une guerre mondiale sans merci qui avait fait remettre en question la notion d’humanisme même dans l’humanité. Histoire d’O par exemple, nouvelle écrite et signée en 1954 par Anne Desclos, sous le pseudonyme de Pauline Réage, met en scène les aventures d’une femme qui devient esclave de son mari de son propre gré. Il va sans dire que la publication d’un tel ouvrage vint avec son lot de controverses. Avec la libération des mœurs, l’ouverture du marché du travail aux femmes, la libération sexuelle, le renouveau du féminisme dans les années 60 et 70 ne se faisait alors plus attendre. On avait franchi le stade où le déni de la sexualité par et pour elle-même ne pouvait plus juguler les pulsions érotiques, qui devinrent alors partie intégrante d’une culture occidentale, qui avait depuis longtemps pourtant, démocratisé le sexe en dehors du mariage en tolérant les filles de joie et les nombreux bordels qui peuplaient ses villes. C’est peut-être même à partir du mouvement BDSM que ces explorations érotiques se concrétisèrent le plus.

 

La place des femmes dans la société est un sujet à débat depuis fort longtemps; en Occident et dans les pays où les religions monothéistes régnèrent à un moment ou un autre, « la femme » comme objet et non comme sujet, fut trop souvent reléguée au rang de reproductrice et parfois, on lui laissait une balance du pouvoir qui lui permettait de s’élever au rang « de l’homme ». L’esclavage n’avait pas non plus aidé la – encore toute jeune – notion humaniste des Droits humains à s’appliquer aux femmes, pas plus qu’ils n’étaient encore pas toujours appliqués à tous les hommes, chez les esclaves noirs par exemple. La hiérarchie de domination s’appliquait aux êtres non-masculins, ensuite aux-êtres non-occidentaux et finalement aux êtres non-humains.

 

Dans le Coran de l’Islam, malgré ce que les médias en donnent comme portrait, les femmes ont été pour la première fois dans l’histoire reconnues légalement comme égales aux hommes, possédant leurs droits propres, qu’elles avaient acquis par cette reconnaissance. J’ai connu des musulmans qui affirmaient par ailleurs que l’islam avait été le premier mouvement féministe de l’histoire en donnant des droits inhérents au genre féminin. Mais nous savons que malheureusement ces acquis moraux se sont trop souvent perdus pour les mêmes raisons que celles nommées précédemment; les interdits, ainsi que parce que la religion instigue une structure de pouvoir qui prend trop souvent sons sens par la domination politique sur les individus. Malgré tout, on a vu à travers l’histoire des portraits de ces femmes dans l’Antiquité, dans l’Occident et dans le monde Arabe, qui ont pris les devants et qui se sont intellectuellement ou politiquement affirmées, et même qui, sexuellement, on usé de leurs charmes pour dépasser ce stade d’infantilisation où elles avaient été placées. L’image et la persona mythologique de la Dominante pourrait même provenir de cette tension entre le désir des hommes envers les femmes fortes et le désir des femmes de s’affirmer comme tel, de soumettre le « sexe fort » masculin, malgré l’interdit moral. Parce que le désir de pouvoir politique et le désir du pouvoir charnel ne sont pas très éloignés l’un de l’autre et nécessitent de remettre en question les pouvoirs acquis sur les femmes par des hommes dans toute société patriarcale. Aussi, les Dominantes challengent un pouvoir érotique majoritairement masculin qui se base souvent sur un instinct de puissance sexuelle et de « performance » primale se concrétisant par l’exploitation et la domination sexuelle des femmes, notamment à travers la pornographie. Il faut noter que je ne généralise pas mais ne fait que tenter de brosser un portrait psycho-social de la domination et de la soumission féminines; il ne s’agit là que d’idées et non de certitudes.

 

Qu’en est-il de la soumission féminine? J’avais récemment répondu à cette question en disant que l’important pour moi, était que ça reste sécuritaire, sain et consensuel (Safe, Sane, Consensual). Il va sans dire que dans notre société où le masculinisme et le féminisme s’affrontent de plus en plus agressivement, et dans laquelle certains hommes ressentent le besoin de réaffirmer leur masculinité en réaction au féminisme, le désir de soumission féminine ne fait pas l’unanimité. Mais comme le débat sur la prostitution voit des femmes des deux côtés de la lice, soit des femmes souhaitant voir libéraliser et légaliser la prostitution et d’autres femmes s’y opposant pour des raisons tout à fait légitimes d’objectification, il n’est pas aussi simple de réduire le combat des femmes à la reconnaissance de leurs intérêts propres. La soumission est un peu du même ordre; la soumission féminine, bien plus que la Domination féminine qui elle fait l’envie de pléthores d’hommes soumis, a encore beaucoup de chemin à faire pour être reconnue, comprise et acceptée socialement, ce surtout, par les femmes féministes. Même lorsqu’il s’agit de « consensual non-consent » (ou « non-consentement consenti »), il faut bien comprendre que les individus qui s’adonnent à ces jeux sont majeurs, responsables et sont, pour la très importante majorité d’entre eux, des personnes qui ont à cœur le bien-être de leur partenaire.

 

Nous avons eu récemment plusieurs débats entourant le livre Fifty Shades of Grey; n’ayant ni lu le livre, ni vu le film qui en a été tiré, je me verrais mal commenter cet ouvrage en particulier. Mais l’intensité des débats à l’intérieur comme à l’extérieur de la communauté BDSM a rappelé l’importance de poser un regard critique autant sur les jeux érotiques eux-mêmes que sur l’opinion du grand public sur ces jeux. Ce débat a remis de l’avant l’importance de rappeler constamment les règles de sécurité fondamentales envers les jeux érotiques ainsi que la notion de consentement qui devrait toujours être discutée avant les jeux et exprimée de manière claire, à tout moment, par toutes les personnes, hommes ou femmes, qui y participent. Car à l’occasion on apprend que des drames se produisent et que certains vont trop loin dans leurs jeux, ou brouillent les frontières du consentement, afin de profiter sexuellement de femmes soumises (cela vaut aussi pour les hommes…) qui pourraient être en situation d’infériorité ou de vulnérabilité. Aussi, on oublie souvent que les Dominant/es ont eux/elles aussi leurs sensibilités, peu importe le type de jeu qu’ils pratiquent. Bref, la reconnaissance de l’humanité, de la sensibilité et des vulnérabilités de l’autre semble un pré-requis à toute communication saine et à tout consentement éclairé. Peu importe la personne, son identité de genre, il s’agit d’être soi-même, bien dans sa peau, de se découvrir, d’être libre de choisir son identité et la manière dont on va vivre sa sexualité.

 

Je remarque que je n’ai pas parlé des gais et lesbiennes, travestis, transgenres, ou queers, mais je ne veux pas parler pour ces personnes. M’identifiant moi-même comme une femme par choix, je comprends leur combat et je suis une alliée, mais je ne remplacerai pas leur voix par la mienne. Je ne fais que partager un point de vue parmi tant d’autres. Aussi, l’identifiant de genre « femme » ou « féminin » est beaucoup sujet à débat puisqu’il est l’essence même du combat féministe; pas en tant que nécessité de s’auto-définir en tant que femme, mais en tant que combat pour la libération des femmes qui sont encore prises dans un cadre patriarcal. Ce cadre hétéronormatif et patriarcal étouffant que les féministes combattent –un motif de combat qui n’est pas assimilable à celui qu’on reproche parfois aux féministes d’être « contre les hommes », est aussi ce cadre normatif qui empêche les LGBT/queer à s’affirmer en société et à prendre leur place.

 

Je dirais, pour clore ce premier jet de mes réflexions sur le sujet du rapport entre féminisme et BDSM, que l’important n’est pas de mettre l’accent sur la représentation des femmes dans le courant BDSM comme étant victimes des jeux de pouvoir érotiques, comme si elles étaient encore en situation d’infantilisation psychologique engendrée par le cadre normatif hétéro-patriarcal, mais bien de concevoir que les femmes (tout comme les hommes) ont leur autonomie propre qui leur permet de choisir pour elles-mêmes la sexualité qu’elles souhaitent avoir, qu’elles soient soumises, Switch, kinkster ou Dominantes. Le BDSM (qu’il soit bondage, discipline, domination, soumission, ou sado-masochisme) libère ce pouvoir érotique et réveille les passions chez ceux qui s’y adonnent, des passions qui pour beaucoup de gens en société, sortent encore trop des normes pour être acceptables et généralisées.

 

C’est peut-être pourquoi c’est un sujet encore aussi tabou; autant que le combat féministe, puisque ces deux mouvements sociaux remettent profondément en question les codes moraux encore fortement ancrés dans la psyché sociale et ce même si on voulait en démontrer le contraire. Les privilèges qui autrefois étaient l’apanage des hommes par le biais du patriarcat, sont aujourd’hui revendiqués par les femmes à travers une critique de  projetée souvent sur les femmes et le corps des femmes, comme par exemple, la critique de la prostitution ou de la soumission féminine. Mais des « privilèges » revendiqués par certaines féministes, au prix d’une nouvelle aseptisation de la sexualité, doivent aussi être critiqués non dans le but de s’opposer à un combat féministe mais d’assurer aux femmes une plus grande et plus totale liberté. Aussi, il faut comprendre qu’un homme dominant n’est pas nécessairement macho, et qu’une femme aux mœurs sexuelles ouvertes n’est pas nécessairement une « salope ». Ces jugements de valeur contribuent à stigmatiser les gens qui ont une vie sexuelle active et gratifiante, peu importe leurs choix. J’espère que les femmes féministes comprendront cela, et qu’elles ne tomberont pas dans le même jugement que les hommes masculinistes posent lorsqu’ils supposent que toutes les femmes sont des filles faciles, encore plus dans le cas des femmes soumises.

 

DAKINI, écrivaine, humaniste et atome libre.

 

 

 

 

 

Une réflexion sur “Érotisme, féminisme et BDSM

  1. « Dans le Coran de l’Islam, malgré ce que les médias en donnent comme portrait, les femmes ont été pour la première fois dans l’histoire reconnues légalement comme égales aux hommes ». Alors là j’aimerais bien connaître les sources (sourates, versets). Certains apologistes musulmans se plaisent à faire avaler des couleuvres (Takya oblige) sur une prétendue égalité des femmes par rapport aux hommes, mais dans les faits, et si on prend la peine de lire le coran (ce que n’a visiblement pas fait l’auteur), ainsi que la somme impressionnante des textes islamiques (sunna, hadiths etc.), alors on comprend qu’en islam, la place des femmes (dont la voix ne vaut que la moitié de celle d’un homme, comme sa part d’héritage…) est ramenée à celle des chiens, et des ânes… une pure marchandise.

    J’aime

Laisser un commentaire